St Irénée de Lyon nous offre la réponse :
« Le Seigneur de toutes choses a en effet donné à ses apôtres le pouvoir d'annoncer l'Évangile et c'est par eux que nous avons connu la vérité, c'est-à-dire l'enseignement du Fils de Dieu. (…) Cet Evangile, ils l'ont d'abord prêché ; ensuite, par la volonté de Dieu, ils nous l'ont transmis dans des Ecritures, pour qu'il soit le fondement et la colonne de notre foi »[1].
St Irénée nous affirme donc que les Apôtres ont prêché l’Evangile et,
qu’ensuite ils l’ont mis par écrit. Mais comment exactement ? Combien d’années après la mort de Jésus Christ ? Pour répondre nous nous basons sur le livre The case for Jesus, écrit par Brand Pitre, professeur en Ecriture Sainte au Séminaire de Notre Dame (Nouvelle Orléans,
Etats-Unis).
Il dit qu’aujourd’hui la plupart des introductions de cours sur les Evangiles datent Marc autour des années 70 ap. JC, Matthieu et Luc autour de 80-85 ap. JC et Jean autour des années 90-95 ap J.C [2]. Ces dates sont souvent présentées comme des faits, mais en réalité ce ne sont que des dates approximatives. Il est important d’avoir une idée claire des datations, car autant les récits sont proches de la mort et Résurrection de Jésus Christ, autant ils ont de valeur en tant que sources historiques. On découvre assez vite qu’il y a des problèmes à dater les Evangiles si tard vers la fin du Ier siècle.
La destruction du Temple en 70 ap. J.C.
Pitre écrit que d’après beaucoup de chercheurs les prédictions de
Jésus Christ sur la destruction du Temple dans les Evangiles synoptiques (Mt 24, 1-2 ; Mc 13, 1-2 ; Lc 21, 20) ne seraient pas des prophéties du Fils de Dieu 40 ans avant
l’évènement. D’après eux Jésus Christ n’aurait jamais pu prédire la destruction du Temple ?!?
Ces chercheurs diront que ces parties de l’Evangile de Marc [qui est communément considéré comme le premier Evangile] auraient été écrites après la destruction du Temple par des chrétiens qui méditaient sur sa destruction. D’après cette approche, la raison pour laquelle les Evangiles de Matthieu et Luc renferment encore plus de détails sur la destruction du Temple est qu’ils auraient été écrits encore plus tard que Marc. Ainsi Matthieu et Luc se voient dater vers les années 80-90 [3].
D’après Pitre cette supposition est leur fondement premier pour dater les Evangiles synoptiques vers la fin du premier siècle. Il démontre que cette façon de dater contient plusieurs problèmes :
Jésus de Nazareth n’était pas le seul à avoir prédit la destruction du Temple. D’après Josèphe, autour de l’année 66 ap. JC un homme nommé « Jésus, fils d’Ananias » a aussi prédit la destruction du Temple [4]. Si Jérémie pouvait prophétiser la destruction de Jérusalem (cf. Jér. 7) et si Jésus, fils d’Ananias, pouvait prophétiser la destruction du Temple, il n’y a pas de raison que Jésus Christ, Fils de Dieu, n’aurait pu faire la même chose ! Fait également important : la destruction du Temple n’est jamais mentionné comme un évènement du passé dans les Evangiles synoptiques. Si les Evangiles avaient été écrits après la destruction du Temple en 70 ap. JC, alors pourquoi les Evangélistes ne mentionnent-ils pas que la prophétie de Jésus avait été accomplie ? Ce serait chose naturelle à faire.
Finalement, si on examine les mots de Jésus concernant la destruction du Temple, on découvrira que certains versets ne se comprennent que si les avertissements ont été donnés avant l’évènement. Cela est vrai pour les trois Evangiles synoptiques. Considérons les avertissements regardant ce qu’il faudra faire quand apparaîtra « l’abomination de la désolation » à Jérusalem (Mc 13, 14 ;Mt 24, 15 ; Lc 21, 20). Jésus leur dit : « Priez pour que votre fuite n'arrive pas en hiver, ni un jour de sabbat » (Mt 24,20) ; Marc : « Priez pour que ces choses n'arrivent pas en hiver ». (Mc 13,18) Luc: « Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes, que ceux qui seront au milieu de Jérusalem en sortent, et que ceux qui seront dans les champs n'entrent pas dans la ville ». (Lc 21,21) Réfléchissons une seconde. Pourquoi Marc exhorterait-il ses lecteurs à prier que la désolation du Temple n’arrive pas en hiver s’il savait que le Temple avait été détruit par les Romains à la fin de juillet dans l’an 70 Ap J.C. [5]? Et pourquoi Luc exhorterait-il son audience à ne pas rentrer dans la ville si la ville avait déjà été détruite ?
Le problème synoptique
D’après Pitre [6], la seconde raison majeure pour dater les Evangiles synoptiques vers la fin du Ier siècle se base sur une théorie concernant l’ordre dans lesquels les Evangiles auraient été écrits : la théorie des deux sources.
Cette théorie conclut que Marc a été écrit autour du temps de la destruction du Temple. Matthieu et Luc se seraient basés sur Marc et « Q », un évangile hypothétique qui serait né au temps où Marc a écrit son Evangile. Ainsi Matthieu et Luc se font dater plus ou moins autour des années 80-85 ap JC. Brand Pitre [7] expique que cette façon de dater contient plusieurs faiblesses :
Comme nous venons de le voir, si l’Evangile de Marc ne peut être daté autour des années 70 sur la base des prophéties de Jésus concernant la destruction du Temple, alors une des principales raisons pour revendiquer une datation de Matthieu et Luc après la destruction du Temple tombe. Aussi les Pères de l’Eglise, bien qu’ils soient unanimes pour déterminer les auteurs des Evangiles, ont toujours débattu sur l’ordre dans lesquelles les Evangiles synoptiques ont été écrits [8]. De nos jours, le débat sur l’ordre des Evangiles est devenu si complexe que l’on l’a nommé « le problème synoptique ». Des livres populaires représentent souvent la théorie des deux sources comme base sure pour la datation des Evangiles, mais cette hypothèse n’est pas du tout la seule solution. Depuis plusieurs siècles des experts ont établie des dizaines et des dizaines de théories sur l’ordre dans lesquelles les Evangiles auraient été écrits. Jusqu’à présent aucune solution n’a été trouvé. Dès lors, si les experts ne peuvent trouver de solution, la théorie des deux sources ne devrait pas être représentée comme une base sure pour dater les Evangiles synoptiques vers la fin du Ier siècle. Comme le dit Joseph Fizmyer : « L’histoire de la recherche synoptique révèle que le problème [synoptique] est pratiquement insoluble ».
On voit donc que la datation vers la fin du premier siècle ne pourrait se faire en se basant sur la théorie des deux sources, vu que cette théorie n’est pas la seule et que de nos jours «Q» est de plus en plus remis en question [9]. Mais comment faire alors pour dater les Evangiles ? Faut-il abandonner la quête? D’après Pitre il faut feuilleter les Actes des Apôtres pour trouver une réponse.
La fin des Actes des Apôtres[10]
Toutes les grandes théories qui proposent une solution au problème synoptique sont d’accords pour dater Luc après un (ou les deux) Evangiles de Matthieu et de Marc. En voici la raison. Luc écrit dans son prologue : « Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous (…) il m'a aussi semblé bon, après avoir fait des recherches exactes sur toutes ces choses depuis leur origine, de te les exposer par écrit d'une manière suivie, excellent Théophile ». (Lc 1,1-3). En vertu de ces versets et les nombreux parallèles entre Luc et les Evangiles de Marc et de Matthieu beaucoup d’experts concluent que Luc aurait utilisé un ou les deux Evangiles de Marc et de Matthieu comme sources. Ceci nous intéresse pour la question de la datation des Evangiles.
Concentrons-nous dès à présent sur la fin des Actes des Apôtres, chapitre 28, versets 14-16 ; 30,31. Là on lit que Luc arrive avec Paul à Rome et qu’ensuite Paul est autorisé à habiter seul avec une garde romaine : « Paul demeura deux ans entiers dans une maison qu'il avait louée. Il recevait tous ceux qui venaient le voir, prêchant le Royaume de Dieu » (Ac 28,30-31a). On peut se poser la question : pourquoi Luc arrête-t-il si abruptement son récit ici? Dans les Actes des Apôtres Luc décrit de nombreux parallèles entre la vie de Jésus et les vies de St Pierre et de St Paul. Pourquoi Luc aurait-il omis le plus grand parallèle : entre l’exécution de Notre Seigneur Jésus Christ et les exécutions de St Pierre et de St Paul ?
La réponse la plus évidente est que St Luc a simplement arrêté son récit quand Paul était « dans sa maison qu’il avait louée », que les Actes des Apôtres ont donc été écrits à cet époque – autour de l’année 62 Après JC. C’est précisément cette fin des Actes des Apôtres qui a fait changer de point de vue le fameux professeur allemand Adolf von Harnack [11], après une vie de recherche sur l’Eglise antique, et qui lui a fait conclure ceci : les Actes des Apôtres et les Evangiles synoptiques ont été écrits quand Paul était encore en vie. Et il n’est pas le seul. D’autres experts comme Alexander Mittelstaedt [12] ont conclu la même chose. Professeur Brant Pitre aussi trouve ce raisonnement très convaincant, spécialement quand on le compare avec la pauvre argumentation pour dater les Evangiles vers la fin du Ier siècle. Pitre dit qu’il n’y a rien d’étrange pour Luc de terminer son récit « jusqu’à ce jour ». C’est ainsi que Josèphe, l’historien du premier siècle, termine son récit [13]. Cette façon de procéder se rencontre aussi de nos jours : la fameuse biographie du Pape Jean Paul II, écrite par George Weigel, ne décrit pas le déclin du pape, ni sa mort due au parkinson car la biographie a été publiée en 1999, elle a été écrite « jusqu’à ce jour ». Ainsi on peut conclure que si les Actes des Apôtres ont été écrits avant la mort de St Paul - mais après l’Evangile de St Luc - l’Evangile de St Luc a été écrit quand Paul était encore vivant. Et comme les experts sont d’accords que l’Evangile de St Marc ou de St Matthieu - ou les deux - ont été écrits avant celui de St Luc (Lc 1, 1-4) cela veut dire que ces derniers - ou l’un d’entre eux - a aussi été écrit quand Paul était encore en vie : au moins deux des trois Evangiles synoptiques ont donc été écrits avant 62 ap JC.
Une telle datation se rapproche nettement de la vie et la Résurrection de Jésus Christ et est donc bel et bien crédible en tant que source historique. Les Evangiles sont des anciennes biographies écrites par les disciples de Jésus et leurs élèves. Ils ont été écrits quand les Apôtres étaient dans la fleur de l’âge par des témoins oculaires.
[1] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Livre III, Préliminaire. https://catholicapedia.net/Documents/saint_irenee-de-lyon/St.Irenee-de-Lyon_Traite-Contre-les-Heresies_Livre-3.pdf, consulté le 22 juin 2019
[2] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 85
[3] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 90
[4] Josephus, Jewish war, 6.301. https://lexundria.com/j_bj/6.301/wst, consulté le 22 juin 2019.
[5] Cette datation se trouve dans le Mishnah, Taanith 4,6. Voir PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 93
[6] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 94
[7] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 94-98
[8] Pour plus détails voir PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 95-96
[9] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 97
[10] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 98-101
[11]Voir note en bas de page 44 PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 224
[12] Voir note en bas de page 45 PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 224
[13] Josephus, Antiquities of the Jews, 20.267. https://lexundria.com/j_aj/20.267/wst, consulté le 22 juin 2019.