La semaine dernière, nous avons donné quelques explications sur la vie du père du désert, Dorothée de Gaza (VIe siècle). Cette semaine nous continuons, toujours en nous basant sur le travail de Sr Pascale-Dominique Nau1 1:
Nous ne savons pas combien de temps Saint Dorothée a vécu "dans le monde", ni ce qui l'a poussé à se retirer du monde dans le monastère de Saint Siride, près de Gaza (Palestine). Dans ce monastère vivaient des hommes qui avaient atteint une grande perfection. Les plus célèbres d'entre eux sont St Barsanuphius, Jean le Prophète2 et St Dositheus.
Saint Barsanuphius est né en Égypte. Il s'était enfermé dans une cellule et avait passé cinquante ans sans voir personne. Il a accompli de nombreux miracles. La mémoire de ce saint a été tellement honorée que son icône a été placée dans la grande église de Constantinople, à côté de celles de Saint Antoine et de Saint Ephrem. Son disciple était Jean, qui avait un si grand don pour prédire l'avenir qu'on le surnommait "le prophète". Celui-ci était un homme d'une grande piété et d'une grande vertu. Ce sont ceux que Dieu a donnés à notre saint Dorothée comme pères et guides. Il suivi leurs enseignements et leur lumière. Il n'est donc pas surprenant qu'après avoir eu de si grands maîtres, il soit devenu un éminent saint, et qu'il soit devenu lui-même un père et une lumière pour beaucoup.
L'une des premières choses qu'il entreprit avec énergie après sa retraite au monastère fut de se plonger dans l'étude de la science des saints. Il le fit avec la même vigueur qu'il s'était précédemment consacré aux sciences laïques.
Voici son propre témoignage :
« Quand je suis entré au monastère, je me suis dit : si l'on ressent une telle ardeur et une telle passion pour les sciences séculières, que lorsque l'on s'y consacre on adopte certaines habitudes, on adoptera d'autant plus des habitudes sacrées, si l'on se consacre à la vertu et à la piété. Cette considération m'a conforté dans mon projet de m'immerger pleinement dans la science des saints. »
Notre saint, qui était vraiment humble et n'a pas rougi à la découverte de ses faiblesses, confesse qu'au début de sa vie monastique, il jugeait les autres avec insouciance et voulait pénétrer leurs dispositions les plus secrètes. C'est ainsi qu'un jour il a rencontré une femme portant une cruche d'eau, et quand il a regardé son visage, il a imaginé qu'elle était une femme de mauvaise réputation. Cela le remplit de scrupules et de peur, et il ne pouvait pas se reposer avant d'en avoir fait part à l’Abba Jean, son supérieur.
Le saint Abba lui a dit qu'il n'est pas possible de connaître de l'extérieur la profondeur du cœur d'une personne. Mais, dit-il, "n'arrive-t-il pas souvent qu'une personne ait des défauts naturels et les corrigent par ses propres soins et son travail ? Il ne faut jamais écouter ses impressions suspectes sur les autres ; ce sont des mensonges qui ne peuvent que nous faire beaucoup de mal".
Cette instruction lui fit une profonde impression, et il s'éloigna alors tellement de ses propres pensées qu'il avait du mal à croire même les choses qui lui semblaient les plus certaines et les plus évidentes.
Les Pères du désert nous apprennent à lutter contre nos pensées, « logismoï » en grec. Trop souvent, il s'agit de fausses impressions de la réalité, influencées par notre passé, nos blessures, nos attentes, ... Les Pères du désert proposent de garder une distance entre nos pensées et nous-mêmes : je ne suis pas au niveau de mes pensées. Ils s'efforçaient d'atteindre l'apathie (absence de passion) : vivre dans la paix du Christ sans impressions de l'extérieur ou de l'intérieur (souvenirs ou fantasmes), ce qui les rendait déraisonnablement tristes, anxieux, en colère ou heureux. Ils ont essayé de vivre dans cette simplicité sacrée, dans l'ici et maintenant avec le Christ, pour ne pas être des personnes immatures qui changent sans cesse d'avis (...) sur les vagues ballottées par le vent (cf. Ep 4, 14).
H. Dorothée est devenu un maître en la matière.
1 Sr. Pascale-Dominique NAU, OP. Les instructions de Dorothée de , Rome 2014.
2 Entre le 4e en de 7e vivaient dans le désert de Palestine différents moines. Deux d’entre ont eu une grande influence dans le 6e siècle. Le saint Barsanuphius, surnommé “le grand vieil homme” et le saint Jean le prophète, surnommé « l’autre vieil homme . Ces deux vieillard étaient régulièrement en contact avec les jeunes moines de Palestine pour leur donner conseil et accompagnement spirituels. Dorothée était un de ces jeunes moines.